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La musique causait à Sébastien des joies graves, de profondes délices. Autant il s’ennuyait, le matin, après le réveil, à suivre, encore endormi, les messes basses, silencieuses, marmottées dans cette chapelle froide, nue, pleine d’ombre, autant la multiplicité des exercices religieux, auxquels étaient astreints les élèves, le rendait paresseux, le prédisposait aux veuleries, aux dégoûts, à l’opprimante obsession de ce Dieu sournois et cruel qu’il détestait ; autant le dimanche, il attendait l’heure de la grand’messe avec impatience. Ce jour-là, la chapelle en fête, l’autel orné de fleurs, éblouissant de lumières infiniment répétées par les ors et les marbres, les officiants parés de leurs étoles brodées, de leurs aubes de dentelles, la grande baie s’ouvrant à travers la vapeur cérulée de l’encens sur des paradis mystiques, et les voix supra-humaines des orgues, et les séraphiques chants des maîtrises, redisant les admirables invocations de Haëndel, de Bach, de Porpora, c’était le triomphe de son Dieu à lui, de son Dieu, magnifique et bon, qu’accompagnaient toutes les beautés, toutes les tendresses, toutes les harmonies, toutes les extases. Ce jour-là, il se sentait vraiment près de lui ; il en avait la révélation corporelle, touchait sa chair radieuse, ses cheveux auréolés, comptait les battements de ce cœur rédempteur, d’où coulent les pardons. Ces mélodies le prenaient dans sa chair, le conquéraient dans son esprit, dans toute son âme, et y réveillaient quelque chose de préexistant à son être, de coéternel à la propre substance de son Dieu, la suite sans fin des immortelles métempsycoses. Il voyait réellement dans cette musique