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devant lui, si triste, le considérait de ses yeux si étonnés et si doux, que sa colère, soudain, mollit et tomba. Il se rappela comment il était venu à lui, gentil, affectueux, alors que tout le monde se détournait de lui et l’accablait de mépris ; il se rappela leurs serments échangés. Il dit, redevenu presque tendre :

— Non… Je ne suis pas méchant… moi aussi, je t’aime bien.


Sébastien s’intéressa vivement à Bolorec. Son caractère impassible le déroutait ; le sourire qui grimaçait en cette face molle et ronde, n’était pas sans lui causer quelque terreur. Il ne savait s’il devait l’admirer ou bien le craindre. L’aimait-il ? Il n’eût pu le dire… Que Bolorec ne lui eût pas adressé encore une parole affectueuse, cela l’inquiétait. Il ne jouait jamais, restait des journées entières, bouche close, sans qu’il fût possible de lui arracher un mot. On le voyait sans cesse en train de tailler un morceau de bois, ou de menus quartiers de pierre tendre qu’il collectionnait soigneusement, durant les promenades. Il était très ingénieux à fabriquer de menus ouvrages, difficiles et compliqués, des boîtes entrant l’une dans l’autre, des étuis, des gréements de bateau ; son adresse était émerveillante à sculpter des têtes de chien, des nids d’oiseau, ou des figures de zouaves, à longues barbes ondulantes, comme il y en a sur les pipes. Mais c’était un mauvais élève, et qui ne dissimulait pas sa répugnance à apprendre, bien qu’il eût la mémoire vive, l’intelligence alerte, dans un corps lent, flasque, presque difforme, et sous des apparences d’idiot. Puis, brusquement, sans raisons plausibles, comme s’il eût éprouvé