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Le reste de la route s’acheva dans le silence. Ils ne virent point la lande que des bras de mer enlaçaient, que traversaient des fleuves d’or, que parsemaient des lacs bibliques, la lande s’égrenant, au loin, dans l’eau soirale, en forme d’îles mystérieuses, de monstrueux poissons, de barques échouées. Ils ne virent point davantage la ville, où les boutiques commençaient de s’allumer, ni les deux jeunes filles, si jolies, debout, à leur même place, près du collège… Tous les deux songeaient. Et leur songerie était pareille. Ils songeaient à des choses douces, là-bas, à des figures aimées, dont le portail, qui brusquement, devant eux, s’ouvrit en grinçant, fit s’envoler les souriantes images.

Quelques minutes après, Jean de Kerral, dans la cour, tandis que les rangs se reformaient, pour rentrer dans l’étude, aborda Sébastien. Il lui demanda :

— Tu as vu le château ?… C’est beau, dis ?

Sébastien ne répondit pas, et fixa Jean, d’un œil dur. Du même coup, il pensa à cet homme qui frappait les arbres avec sa cravache, aux chiens, au clerc d’huissier. L’impression qu’il avait eue dans le bois, à la vue de ces murs, de ces tourelles, il la ressentit plus violente. Une haine le poussait, contre Jean. Il eut envie de lui crier : « Fils d’assassin. »

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? supplia Jean… Tu es méchant !… Ce n’est pas de ma faute, tu sais bien… C’est papa qui ne veut pas… Parce que moi, je t’aime bien…

— Ton père, ton château, toi… commença Sébastien.

Mais il s’arrêta, troublé, et vaincu… Jean était