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Kerral s’avança au-devant des Pères, du même pas sautillant qu’avait son fils. Il lui ressemblait du reste, avec plus de dureté dans le regard. Sa mise était prétentieuse et négligée ; il avait sur sa veste de velours noir, d’immenses boutons de métal, où se voyaient, en relief, des fleurs de lys. Jean accourut bavard, très fier de se montrer à ses camarades, au milieu de son domaine. Les élèves se taisaient, un peu gênés, se dispersaient, entre les arbres, par groupes. On leur avait défendu de poursuivre les écureuils et de couper les branches. M. de Kerral, les Pères et Jean se dirigèrent vers la maison. En haut du perron, aux marches disjointes, une femme encapuchonnée d’un châle à carreaux rouges et verts, attendait, ses coudes sur la rampe de fer gauchie. On entendit une voix aigrelette, qui disait :

— Bonjour, mes Pères… Comme c’est aimable d’avoir choisi Kerral pour but de promenade…

Saisi par plus d’étonnement encore que de tristesse, Sébastien rôda à travers le bois, longea des murs croulants, des jardins abandonnés, ne se heurta qu’à des vestiges de choses tombées, qu’à des débris de choses mortes, enfouies sous les ronces. Par les trouées aériennes, s’ouvrant dans les chênes et dans les pins, il entrevit des perspectives de landes, un terrain aride, désolé, noir, çà et là, des petits champs avares durement conquis sur les racines vierges des ajoncs et les pierres, puis, des coteaux pelés où tournaient des moulins à vent. Il se rappela l’histoire du clerc d’huissier, et des six chiens, que Jean lui avait contée. Chaque détail qui l’avait fait rire lui revint, précis, douloureux cette fois. Et son cœur se serra… Ah !