Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui n’étaient point sages et n’avaient pas voulu travailler. Durant la classe et les heures d’étude, sous la suggestion directe des leçons parlées, son cerveau s’alourdissait, ses facultés s’annihilaient, sa voix même se glaçait, lorsque son tour venait de réciter. Il avait beau étreindre son petit crâne, il n’en pouvait rien faire sortir ; il ne pouvait non plus y faire pénétrer les conceptions bizarres de cet enseignement, qui perpétuaient, dans une forme plus grave, avec la garantie officielle des maîtres, les histoires de Croquemitaine et les chimériques contes de fées. Quelquefois, à la classe du samedi, pour distraire les élèves, le professeur leur lisait des épisodes de la Révolution française, des récits dramatisés des guerres de Bretagne et de Vendée. Sébastien y retrouvait les mêmes physionomies ogresques que dans les livres de classe, la même irruption de fous sinistres, les mêmes clameurs de guerre et de haine furieuse. Mais, cette fois, les noms de Marat, de Robespierre, remplaçant ceux des rois, des conquérants, retentissaient avec épouvante ; la guillotine y fonctionnait, aussi rouge de sang que la framée des grands hommes et le glaive de Dieu. Il ne comprenait pas pourquoi on l’obligeait à détester ceux-là, alors qu’on lui recommandait de vénérer les autres. Et il écoutait, espérant entendre tout à coup les noms de Jean Roch, Pervenchères… l’église… l’âne… Mais c’était sans doute un trop petit massacre, pour qu’il eût chance d’intéresser des imaginations d’enfants, habitués au récit de bien d’autres hécatombes humaines. Sitôt que, délivré de cette classe maudite, où tout lui pesait, où tout l’ahurissait, il se remettait à vagabonder dans la