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preuve d’une supériorité intellectuelle, et la condamnation du maître. Telle elle était chez Sébastien, à son insu. Ce qu’on le forçait à apprendre ne correspondait à aucune des aspirations latentes, des compréhensions qui étaient en lui et n’attendaient qu’un rayon de soleil pour sortir, en papillons ailés, de leurs coques larveuses. Une fois ses devoirs bâclés, ses leçons récitées, il ne lui en restait rien, dans la mémoire, qui le fît réfléchir, rien qui l’intéressât, le préoccupât ; rien, par conséquent, ni formes, ni idées, ni règles, qui se cristallisât au fond de son appareil cérébral ; et il ne demandait pas mieux que de les oublier. C’était, dans son cerveau, une suite de heurts paralysants, une cacophonie de mots barbares, un stupide démontage de verbes latins, rebutants, dont l’inutilité l’accablait. Jamais rien d’harmonieux, ni de plaisant, qui s’adaptât à ses rêves, rien de clair qui expliquât ce par quoi il était généreusement tourmenté. Ce qui le charmait, l’étonnait, ce qu’il sentait de communication secrète de sa petite âme avec les choses ambiantes ; ce qu’il devinait de mystères épars, délicieux à dévoiler, de vie foisonnante, délicieuse à écouler, on s’acharnait à répandre sur tout cela les plus épaisses, les plus fuligineuses ombres. On l’arrachait à la nature, toute flambante de lumière, pour le transporter dans une abominable nuit où son rêve spontané, les acquêts de sa réflexion enfantine, ses enthousiasmes, étaient retournés, avilis, soumis à de laides déformations, rivés à de répugnants mensonges. On le gorgeait de dates enfuies, de noms morts, de légendes grossières, dont la monotone horreur l’écrasait. On le promenait dans les cimetières mornes du passé ;