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— Toujours matinal, donc, mossieu Bernard ! dit l’un d’eux, en saluant avec respect.

M. Bernard allait répondre — car il n’était pas fier — quand il vit venir, du bout de la Promenade, un chien si jaune, si maigre, si triste, si crotté et qui semblait si fatigué, que M. Bernard, instinctivement, se gara contre un platane. Ce chien, c’était Turc, le pauvre, lamentable Turc.

— Oh ! oh ! se dit M. Bernard, voilà un chien que je ne connais pas ! oh ! oh !

Dans les petites villes, on connaît tous les chiens, de même qu’on connaît tous les citoyens, et l’apparition d’un chien inconnu est un événement aussi important, aussi troublant que celle d’un étranger.

Le chien passa devant la fontaine qui se dresse au centre de la Promenade, et ne s’arrêta pas.

— Oh ! oh ! se dit M. Bernard, ce chien, que je ne connais pas, ne s’arrête point à la fontaine. Oh ! oh ! ce chien est enragé, évidemment enragé…