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par le beau, qu’il voyait cette société, dégringolant dans l’abîme au bruit des orchestres et des fêtes, emportée par un vertige d’imbécillité et de folie.

Marcelle, écoutant cette voix chaude et vibrante, tantôt enflée comme un tonnerre, tantôt caressante comme un chant d’oiseau, se trouvait profondément troublée et remuée dans tout son être. Un monde de sensations et d’idées nouvelles se leva du fond de son cœur, se dressa devant son esprit. Et un beau soir, elle découvrit, sans un scrupule, sans une pensée pour le mort qu’elle avait tant pleuré — elle découvrit, avec une joie délicieuse, qu’elle aimait. Comme elle avait aimé Savoise, ce jeune homme futile et banal, elle aima Perseigne, ce jeune homme grave et mystérieux, et, par cette prodigieuse et inconsciente intelligence des situations qu’ont les femmes, son amour, qui n’avait point dépassé le pauvre idéal de Savoise, monta d’un coup d’ailes jusqu’à la hauteur de cet esprit rare, de cette