Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien… Quelle situation de troisième acte !… J’obligeai ma femme à abandonner son art, parce qu’on n’eût pas toléré, dans l’administration, que la femme d’un futur rat de cave, fût chanteuse comique… Était-ce mon droit ?… Ne devais-je pas plutôt me sacrifier ?… Enfin je l’obligeai… Elle me chantait son répertoire… Oui, le soir, elle s’habillait avec ses anciens costumes… elle se mettait du blanc, du rouge, du noir… une fleur dans les cheveux… et elle chantait… dans notre petite chambre… pour moi !… pour moi tout seul… Que cela était triste !… Un jour, elle désira que je lui fisse une chanson… Son répertoire l’ennuyait… elle soupirait après une création… Ah ! c’était une artiste !… Je me mis à la besogne… Je n’avais jamais fait de vers, jamais je n’avais aligné que des chiffres… Eh bien ! au bout de quinze jours, j’avais composé, non pas une chanson… non… pas une chanson… mais une tragédie !… Emporté par l’inspiration, d’une simple chanson, monsieur, j’étais