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sont formels… J’ai fait ce que j’ai pu… Mais que pouvais-je sans mandat ? Je ne suis plus rien… Je n’ai plus rien que mon éloquence et mon génie politique… On ne m’a pas écouté… Aujourd’hui, on n’écoute plus le génie politique, et l’éloquence est méprisée… Voici donc ce qui est décidé… Ah ! comme mon cœur saigne !… L’Espagne s’annexera les Pyrénées ; l’Italie, Nice, la Savoie, et les Bouches-du-Rhône ; l’Allemagne prendra l’Alsace, la Lorraine et la Champagne… Quant à l’Angleterre, à l’insatiable Angleterre… parbleu, elle prendra…

Et il fit un geste qui cambriolait le globe…

Je ne l’écoutais plus ; je le regardais… Non, en vérité, il n’avait pas l’air de se jouer de moi, ni de se jouer, à soi-même, la comédie d’une aussi énorme et cynique mystification… En mettant au futur l’annexion à l’Allemagne de l’Alsace-Lorraine, il ne croyait pas faire une plaisanterie insultante. Il était de bonne foi, et sincère, et, peut-être, enthousiastement patriote en son inconcevable aberration. Et il continuait de parler avec une réelle et chaude colère, des lueurs de prophète dans ses yeux. Il parlait de tout, jugeait de tout, condamnait tout, les hommes et les choses, sans une indulgence, sans une pitié, affolant son pessimisme accusateur à la griserie de son verbe lâché. Malgré moi, j’entendis encore cette phrase :

— En politique, on n’a pas le droit de se tromper…