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fournisseurs, à ses domestiques, vis-à-vis desquels il s’agit de tenir un rang prestigieux, car le voyage suppose de l’argent, et l’argent toutes les supériorités sociales.

Donc, je voyage, ce qui m’ennuie prodigieusement, et je voyage dans les Pyrénées, ce qui change en torture particulière l’ennui général que j’ai de voyager. Ce que je leur reproche le plus aux Pyrénées, c’est d’être des montagnes… Or, les montagnes, dont je sens pourtant, aussi bien qu’un autre, la poésie énorme et farouche, symbolisent pour moi tout ce que l’univers peut contenir d’incurable tristesse, de noir découragement, d’atmosphère irrespirable et mortelle… J’admire leurs formes grandioses, et leur changeante lumière… Mais c’est l’âme de cela qui m’épouvante… Il me semble que les paysages de la mort, ça doit être des montagnes et des montagnes, comme celles que j’ai là, sous les yeux, en écrivant. C’est peut-être pour cela que tant de gens les aiment.

La particularité de cette ville où je suis et dont l’excellent Bædecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants « la sublime beauté idyllique », tient en ceci, qu’elle n’est pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, les maisons d’habitants. Or, à X…, il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants indigènes, il n’y a que des hôtels… soixante-quinze hôtels, énormes constructions,