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de nos cœurs, et qui semble nous dire : « Si tu m’aimes, tu n’iras pas plus loin ! » Voilà ce que c’est que ce bec de gaz…

Mme Tarabustin considéra longtemps ce bec de gaz, fit un violent effort pour éprouver la secousse divine, et, triste, accablée de n’être pas à l’unisson des sentiments qui gonflaient le cœur de son mari, elle gémit :

— Je n’ai pas ton intelligence, mon ami… Et je ne vois pas de si belles choses dans un simple réverbère… C’est un grand malheur… Pour moi, un bec de gaz est toujours un bec de gaz, même quand c’est le dernier bec de gaz de France…

La voix de M. Tarabustin prit un accent mélancolique.

— Hélas ! fit-il… Tu n’es qu’une femme… tu n’as pas, comme moi, pénétré dans la profondeur des choses… Les choses, ma pauvre amie, ne sont que des apparences sous lesquelles existent les symboles éternels… Le vulgaire ne perçoit que les apparences… Seuls, les grands esprits, comme moi, découvrent les symboles sous les apparences qui les cachent… Enfin !

Il y eut un silence.

L’haleine des Tarabustin profanait la pureté vivifiante du soir. Un parfum d’œillet sauvage, qui s’était aventuré jusqu’à eux, rebroussa chemin et se perdit dans la vallée. Les grillons s’étaient tus, à la voix du professeur, étonnés de cette discordance.