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soixante-dix ans. Il a toutes les allures d’un petit vieillard débile et maniaque. Quand on est auprès de lui, on souffre vraiment de ne pouvoir le tuer. La première fois que je vis tous ces Tarabustin, j’eus l’idée d’aller à eux et de leur crier :

— Pourquoi venez-vous offusquer de votre triple présence, de l’immoralité de votre triple présence, la splendeur farouche des montagnes, et la pureté des sources ?… Retournez chez vous… Vous savez bien qu’il n’y a pas d’eaux – si miraculeuses soient-elles – qui puissent jamais laver les pourritures séculaires de vos organes, et la crasse morale d’où vous êtes nés…

Mais je pense que M. Isidor-Joseph Tarabustin eût été fort étonné de l’éloquence de ce langage, et qu’il n’eût point obéi à cette injonction homérique.

Chaque jour, à des heures fixes, le matin, sur les allées ou sur les Quinconces, on rencontre, sortant du bain, solennel, méthodique, grand semeur de paroles et de gestes, M. Isidor-Joseph Tarabustin, qui promène ses courtes jambes, sa face bubonique et son ventre malsain. Sa famille l’accompagne, et, quelquefois, un ami, voisin de chambre, professeur comme lui, et dont la peau malade, farineuse, lui fait un visage de Pierrot morne, qui se serait poudré de cendres. Rien n’est beau comme de les voir côtoyer le lac et parler aux cygnes, tandis que le jeune Louis-Pilate leur jette des pierres… déjà !