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par une anomalie étrange, par une invincible perversité, je ne voulais plus la quitter, même en dehors de mon service –, je n’étais plus réellement moi-même. Un autre se substituait à moi, un autre entrait en moi, s’infiltrait en moi, par tous les pores de mon derme, s’éparpillait en moi, pareil à une substance dévoratrice, subtil et brûlant comme un poison… Et cet autre, c’était, à n’en pas douter l’ancien cocher, le cocher assassin, dont l’âme de meurtre était restée dans les habits que je portais. De quoi était formée cette âme ? Je tentai vainement de le savoir… Était-ce un gaz ?… un liquide ?… un mucilage ?… une réunion d’invisibles organismes ?… J’essayai de tout pour la tuer !… Je me ruinai en benzine, en camphre, en poudre insecticide, en lavages de pétrole, en pulvérisations savantes des plus sûrs antiseptiques. Rien n’y fit. L’âme résista à toutes les expériences. Et, ô prodige terrible ! ô mystère affreux !… le drap ne fut pas brûlé par une infusion prolongée dans de l’acide sulfurique, tant cette âme obstinée avait imprégné l’étoffe de son immortalité. Non seulement le drap ne fut pas brûlé, mais l’âme y gagna d’être plus active, plus ardente, plus virulente. Je la nourrissais, je la fortifiais de ce qui aurait dû la tuer… Dès lors, je l’abandonnai et m’abandonnai moi-même à son destin.

Pourtant, une fois encore, je voulus lutter. Comme le baron était venu, à son heure habi-