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elle n’a pas un service dur… Je la ménage…

Je fis une grimace et pris une voix grognonne :

— C’est ça… elle ne tient pas debout… C’est un vieux carcan… Et puis, si elle se fiche par terre, monsieur le baron dira que c’est de ma faute… Ah ! je connais le truc…

Mon maître me regarda de coin, en clignant de l’œil, et il dit :

— Il ne s’agit pas de ça… Elle ne bute jamais…

— Non… c’est moi qui bute, peut-être… grommelai-je entre mes dents…

Je me sentais très libre, très à mon aise, avec ce pauvre homme qui m’avait, du premier coup, livré toute sa faiblesse. Et j’éprouvais comme un violent plaisir à le dominer par l’insolence et par la peur. Je vis dans ses yeux passer quelque chose comme un reproche… Mais il n’osa pas répondre à ma grossièreté. Il sortit du box, qu’il referma.

— Ho ! ho ! .. Fidèle… Ho !… ho !…

Et nous allâmes dans la remise.

Sous une housse de lustrine grise, dormait une vieille berline, comme je me rappelais en avoir vu parfois, dans mon enfance, emporter des caricatures de marquises, sur les routes de là-bas… Dans un coin étaient empilées des caisses vides d’épicerie et des boîtes de fer-blanc, vides aussi et bosselées. Je fus humilié. Certes, je n’espérais pas entrer du premier coup, dans une maison ultra-chic, revêtir de somptueuses et correctes livrées, et