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ne demeurai là qu’un mois, car, étant très avare et très dévote, elle nous laissait crever de faim, pieusement… De Laval, dont je n’ai pas autre chose à raconter, je passai au Mans, chez un ingénieur – ah ! le pauvre homme, qu’il était cocu ! – et, du Mans, à Chartes, chez un évêque… Cela ne vous paraîtra pas croyable, et pourtant rien n’est plus vrai. À cette époque j’étais vierge… Les femmes ne me disaient rien, et je ne disais rien aux femmes. Mais la cuisinière de l’évêque, une grosse dondon à triple gorge et à quadruple ventre, se chargea de m’apprendre, un soir d’orage, ce que c’est que l’amour, après m’avoir forcé à boire, coup sur coup, cinq verres de chartreuse, dont je fus si malade que je pensai étouffer… Par la suite, elle s’acharna sur moi, cette vieille vampire, avec une voracité tellement gloutonne, que je serais sûrement mort d’épuisement, si je n’avais pris le parti de m’enfuir, un beau matin… Elle avait un truc vraiment peu ordinaire… Avant de faire l’amour, elle se signait trois fois, et elle m’obligeait à me signer aussi, comme lorsqu’on entre dans une chapelle bénite… Ainsi, vous croyez ? Enfin, de Chartres, j’arrivai à Paris, dans un bureau de placement… Je crus, cette fois, que j’avais conquis le monde.

Vous le voyez, je suivais mon idée et je faisais la ligne, sans m’écarter, à droite ou à gauche, du but suprême où rayonnait la Fortune…

En ces diverses étapes, je formais et j’acquérais