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monsieur… Le nez, la bouche, le menton enfouis dans l’embouchure du tube, il humait avec conviction. Je ne le voyais pas bien… Je ne voyais de lui qu’un immense front, chauve et montueux, et pareil à une route de sable jaune entre deux berges de cheveux roux… Tel que je le voyais, il me parut d’une vulgarité dégoûtante… Je dus attendre trois quarts d’heure… Cela m’impatienta, et je me promis d’arriver plus tôt le lendemain… Le lendemain, quand j’arrivai, le monsieur était là… Le jour suivant, j’avançai mon heure… Encore lui… « Ah ! c’est très fort… m’écriai-je, il ne quitte donc jamais le tube ? » Et j’éprouvai contre cet homme une haine violente… terrible… vous ne pouvez pas vous imaginer… Cette haine grandit, s’exaspéra de jour en jour, car – vous ne me croirez pas, et cependant rien n’est plus vrai — pas une fois, durant vingt-cinq jours, non, pas une seule fois, je ne trouvai l’appareil libre… La première chose que j’apercevais en entrant dans la salle, c’était ce front… Et ce front semblait me narguer… rire de moi… Oui, en vérité, il riait de moi… Jamais je n’aurais cru que le simple front d’un homme chauve pût contenir tant de provocations en si peu de cheveux… Ce front m’obséda… Je ne vis plus que lui, partout… Plusieurs fois, il me fallut me raisonner, me retenir, pour, armé d’un marteau, d’une massue, ne pas frapper ce front obstinément ironique et ricanant… Ma vie devint intolérable. Ah !