Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/389

Cette page n’a pas encore été corrigée

avant de venir ici, je l’ai vendu à l’église du Sacré-Cœur de Montmartre, pour des Noces de Cana !… Et puis… qu’est-ce que tu veux ?… l’Art est perdu, maintenant… Il n’y en a que pour les Monet… pour les Renoir… pour les Cézanne… C’est honteux !… Ah ! ma pauvre Mathilde a bien fait de mourir…

J’essaie de le consoler :

— Tu te plains ?… Et tu es toujours l’illustre peintre Guillaume Barnez. Et tu viens d’être nommé à l’Institut !

— Illustre ?… parbleu ! Certainement, je suis illustre… Je suis illustre plus que jamais… Seulement quand, par hasard, une de mes toiles passe dans une vente, à l’Hôtel Drouot… eh bien, elle est adjugée dix-sept francs… avec le cadre… Je te dis que l’Art est perdu… perdu… perdu !…

Et, sur cette prophétie lugubre, il me quitte…

Quelques minutes plus tard, ému, malgré tout, par la situation de Guillaume Barnez, que j’avais connue, jadis, si brillante, je montais m’habiller pour le dîner. Quelqu’un, derrière moi, dans l’escalier, m’appela :

— Monsieur Georges ?… Hé !… chez monsieur Georges… je vous prie ?…

Je me retournai. C’était M. Tarte, M. Tarte lui-même, en tenue de cheval, et qui, fringant, fredonnant, une fleur d’arnica à la boutonnière de son