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marchant lentement… car, outre sa fatigue, il avait une hernie qui le faisait souffrir plus que l’ordinaire.

« Et, comme il marchait depuis un quart d’heure, désespérant de rencontrer le monsieur providentiel, il sentit, tout à coup, sous ses pieds, quelque chose de mou… D’abord, il pensa que ça pouvait être une ordure… Et puis, ensuite, il réfléchit que ça pouvait être quelque chose de bon à manger… Est-ce qu’on sait jamais ? Le hasard n’aime guère les pauvres, et il ne leur réserve pas souvent des surprises heureuses… Pourtant, il se souvenait, un soir, avoir trouvé, dans la rue Blanche, un gigot de mouton, tout frais, un magnifique et énorme gigot, tombé, sans doute, de la voiture d’un boucher… Ce qu’il avait sous les pieds, à cette heure, ce n’était pas, bien sûr, un gigot… c’était peut-être une côtelette… un morceau de foie, un cœur de veau…

» – Ma foi !… se dit-il… faut voir ça tout de même…

« Et il se baissa pour ramasser l’objet qu’il tenait sous ses pieds…

» – Hein ! fit-il… quand il l’eut touché… c’est pas des choses qui se mangent… Je suis volé…

« La rue était déserte… Nul sergot faisant sa ronde… Il s’approcha d’un bec de gaz pour se rendre compte de ce qu’il avait dans la main…

» – Ah bien par exemple !… ça, c’est plus fort… murmura-t-il, tout haut.