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malchance aussi, lui avaient valu une soirée dérisoire… deux sous et encore deux sous étrangers qui n’avaient pas cours…

» – Donner deux mauvais sous à un pauvre bougre comme moi… un millionnaire !… si ça ne fait pas pitié…

« Il revoyait le monsieur… un beau monsieur, bien nippé… cravate blanche… plastron éblouissant… canne à béquille d’or… Et Jean Guenille haussait les épaules, sans haine.

« Ce qui l’ennuyait le plus, c’était de regagner la place d’Anvers… C’était bien loin et il tenait à « son chez lui », à son banc. Il n’y était pas trop mal après tout, et il était assuré de n’y être pas dérangé… car il connaissait les agents qui avaient fini par le prendre en pitié, et le laissaient dormir à sa guise…

» – Sacristi !… dit-il… voilà une mauvaise journée… Depuis trois semaines… je n’en ai pas eu une si mauvaise… Et l’on a raison de dire que le commerce ne va plus… Si c’est la faute aux Anglais… comme on le prétend… sacrés Anglais… que le diable les emporte !…

« Il se mit en marche, n’ayant pas perdu l’espoir de rencontrer, en chemin, un monsieur charitable, ou un pochard généreux qui lui donnerait deux sous… deux vrais sous, avec quoi il pourrait acheter du pain, le lendemain matin…

» – Deux sous… deux vrais sous… ce n’est pourtant pas le Pérou !… se disait-il encore tout en