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faim s’oublie, et tout, et tout, et tout !…

« Elle allume un bougeoir, à la flamme tordue de la lampe, et, m’indiquant le chemin, elle me précède dans l’escalier. L’ascension est rude. La malheureuse monte avec peine, avec effort ; elle souffle, siffle et râle ; de sa main libre, elle ne sait que faire, comme d’un paquet trop lourd.

» – Ne t’impatiente pas, chéri… C’est au deuxième…

« Et la lampe est gluante, les murs suintent et suppurent, les marches de bois craquent sous les pieds ; il faut raffermir son estomac contre les nausées que soulèvent d’intolérables odeurs de boues ramenées avec les hommes, de crasses dont l’humidité exaspère la virulence, de déjections mal closes ; sur les paliers, à travers les portes, on entend des voix qui rient, qui crient, qui prient, des voix qui marchandent, qui menacent, qui exigent, des voix obscènes, des voix saoules, des voix étouffées… Oh ! ces voix ! La tristesse de ces voix, en ce lieu de nuit, de terreur, de misère et de… plaisir !

« Enfin nous sommes arrivés. La clef a grincé dans la serrure, la porte a grincé sur ses gonds, et nous voilà dans une petite pièce où il n’y a qu’un fauteuil de reps vert, déchiré et boiteux, et qu’une sorte de lit de camp sur lequel une vieille qui dormait s’est dressée, au bruit, comme un spectre, et me dévisage de ses yeux ronds, jaunes, étrangement