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quis, et un peu l’intendant de ses affaires de bourse et de ses plaisirs…

Voici ce que je sais du marquis de Portpierre.


Un dimanche matin, j’arrivais avec un ami à Norfleur. Norfleur est une petite ville normande, extrêmement pittoresque, et qui a conservé, presque intact, son caractère ancien. Bâtie en croissant, au fond de la joie vallée de la Trille, un peu au-dessus des vastes prairies fiévreuses dont les nappes toujours verdissantes s’étendent vers l’ouest, elle est dominée à l’est et au nord par des coteaux boisés d’une souple et molle ondulation. On peut y admirer encore les restes d’une très vieille abbaye, toute une longue rangée d’arceaux gothiques qui demeurent debout, grâce au lierre qui les soutient, et une fort belle église, à peine restaurée, du XVe siècle. La Trille, avec ses bords plantés de peupliers, lui fait une ceinture légère de frissons aériens, et d’eau pleine de reflets délicats… Telle je l’avais vue, il y a vingt ans, telle je la revoyais, ce matin-là, avec ses mêmes rues étroites et malpropres, ses mêmes maisons à haut pignon ardoisé, un peu plus vieilles seulement, un peu plus tassées, un peu plus branlantes… et aussi avec sa même humanité qui somnole dans les mêmes crasses que jadis… Norfleur n’a rien sacrifié au progrès qui, peu à peu, transforma les bourgs et les villes autour d’elle… À l’exception d’une pauvre scierie