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contre la curiosité des voisins. Non seulement je n’étais pas populaire dans le pas, mais, à vrai dire, j’y étais totalement inconnu, sauf du facteur, avec qui il avait bien fallu que j’entrasse en relations suivies, à cause des signatures qu’il réclamait souvent de moi, et des erreurs qu’il commettait, sans cesse, dans son service. Tout ceci, n’est-ce pas ? pour l’intelligence de mon récit, et non pour la sotte vanité de parler de ma personne et de me vanter niaisement de telle ou telle façon d’être. Ah Dieu ! non.

« Je m’approchai donc du groupe, avec les manières silencieuses et prudentes dont s’accompagnent les moindres actes de ma vie ; et, sans éveiller l’attention d’aucun, tant j’avais mis de discrétion, et, si j’ose dire, de sourdine, à me mêler d’une chose où je n’avais que faire, je pénétrai au milieu de ces gens bizarres qui regardaient, sur la berge, je ne savais quoi… Et un affreux spectacle, auquel je n’avais nullement songé, s’offrit à moi… Sur l’herbe, un cadavre était étendu, un cadavre de pauvre, à en juger par les sordides guenilles qui lui servaient de vêtements ; son crâne n’était qu’une bouillie rouge, et si aplati qu’il ressemblait à une tartine de fraises. L’herbe était foulée, piétinée, à la place où le cadavre reposait ; sur la pente du talus, quelques petits morceaux de cervelle pourprée tremblaient comme des fleurs à la pointe d’un chardon.

» – Mon Dieu ! m’écriai-je.