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presque. Lorsque ses camarades lui adressaient la parole, à peine s’il leur répondait. Et il monologuait en lui-même :

» – Le petit vicomte !… C’est à n’y rien comprendre… Me refuser une chose si simple, et qui eût été si belle, une chose qui, pour moi, serait la gloire, qui, pour le public et pour Sarcey, serait une révélation !… Qu’est-ce que cela pourrait bien lui faire à cette canaille, à cette grosse canaille, qui s’est engraissée de mon talent, de mes veilles ?… Ah ! je n’ai pas eu de chance !… Et personne ne saura jamais ce qu’il y avait en moi, ce qu’il avait, là, sous ce crâne…

« Il croyait à une cabale, à une conspiration, et il regardait tout le monde d’un regard méfiant, d’un regard où, vainement, il cherchait à insinuer une expression méchante et vengeresse, le lamentable et doux bonhomme.

« Enfin, le grand jour arriva. Jusqu’au dernier moment, le père Plançon avait espéré, au fond de lui-même, un miracle. Et ce fut le cœur bourrelé, les larmes dans les yeux, qu’il vit la toile se lever, lentement, implacablement, sur le premier acte de Gloire et Patrie.

« Le vieux bonhomme n’apparaissait qu’à la fin du deuxième acte. Le moment venu, il entra sur la scène, avec majesté, perruque blanche et bas noirs, ouvrit noblement les deux battants de la porte, par où la salle à manger s’éclaira des lumières de ses cristaux et des reflets de son argenterie,