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lent, frôlait le tas de feuilles, je vis une chose merveilleuse, un des drames les plus surprenants qu’il soit donné à l’homme de contempler. Les feuilles sèches volèrent à droite et à gauche, et un gros hérisson dardant ses piquants, allongeant son museau, apparut. Avec une rapidité, un bondissement d’attaque qu’il eût été impossible d’imaginer aussi lestes chez une bête d’aspect aussi lourd, le hérisson se précipita sur la vipère, l’engueula par la queue qu’il serra fortement, et se roula en boule, son corps tout entier préservé par les mille pointes dressées, comme des piquants de lance, de sa peau. Et il ne bougea plus.

Alors, la vipère souffla horriblement. Par des élans vigoureux qui la faisaient s’élancer toute droite et brillante comme un coup de couteau, elle essaya de se dégager de l’étreinte du hérisson. En vain, elle essaya de la mordre, précipitant sa gueule chargée de venin contre les piquants de l’ingénieux animal, où elle se déchirait. Toute sanglante, ses petits yeux crevés, elle continuait à se débattre et de mordre l’impénétrable armure du monstre, dans une fureur croissant avec les blessures. Cette lutte dura dix minutes. Enfin, dans sa rage à vouloir se dégager, elle se perfora le cerveau contre les inflexibles épées, et elle retomba, inerte, mince ruban gris taché de sang, près de la boule immobile.

Le hérisson attendit quelques instants. Puis avec une prudence, une circonspection vraiment admirables,