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un écrin qu’orneraient les plus beaux diamants de la terre. Peu m’importe de mourir… Oui, mais aurai-je assez de sang pour cela ?

» – On a toujours assez de sang pour cela, répondis-je négligemment. Du reste… on fait ce qu’on peut…

» – Ah ! docteur !… je ne me sens pas bien…

« Épuisé par tout ce que représentait d’efforts impuissants ce désir sénile, le vieux baron, devenu très pâle, s’évanouit. Je l’allongeai sur un divan, les pieds hauts, lui fis respirer des sels d’une âcreté violente, lui fouettai le visage avec la pointe d’une serviette mouillée… La syncope dura quelques minutes. Puis, quand il fut revenu à lui, j’ordonnai qu’on le reconduisît, soutenu aux aisselles par deux domestiques, jusqu’à sa voiture qui stationnait dans la rue… Il bredouillait, entre ses lèvres, qui avaient peine à se rejoindre :

» – Ah !… Boule-de-Neige !… Boule-de-Neige !… je te donnerai…

« Et, tassé sur les coussins, les jambes molles, la tête roulant sur sa poitrine, le vieux baron continuait de marmotter obstinément :

» – Oui… c’est cela… toute ma substance… je te donnerai toute ma subst…

« Le lendemain, il se rendit chez un chimiste très renommé pour sa science.

» – Je voudrais, lui dit-il, que vous tiriez de mes veines assez de sang pour en extraire trente-cinq grammes de fer.