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avoir pas un appartement, ouaté, chauffé, avec des tentures, des abat-jour roses… et des tapis qui ne salissent pas les petits pieds nus !… Et si tu savais combien, du fait de cette chambre ignoble… j’ai raté de magnifiques occasions, de merveilleux soldes, chez les femmes mariées !…

— Mais, répliquai-je… ton amie est veuve et libre… Pourquoi ne te reçoit-elle pas chez elle ?

— Elle ne peut pas, mon vieux… à cause des domestiques… Et puis elle est très lancée dans le monde catholique… Elle connaît de Mun et Mackau… Elle vendait au Bazar de la Charité…

Puis il ajouta, d’une voix suppliante :

— Ton appartement, à toi, est si joli… De l’anglais et du Louis XVI, comme chez elle… et si intime… si galant !… Comme nous nous aimerions là-dedans ! Figure-toi que j’en suis à lui dire, à ma pauvre amie, qu’il m’est impossible de la recevoir chez moi… où vivent mon père, ma sœur et deux vieilles tantes paralytiques… C’est affreux !… Faudra-t-il donc que je manque encore cette occasion ?… Ah ! si tu voulais !…

À force de prières, je cédai. Trois fois par semaine, je livrai mon appartement aux libres amours de Lucien et de sa maîtresse. Je fis même très bien les choses. Je prêtai à Lucien mes babouches, mes chemises de nuit, ma parfumerie, la clé de ma bibliothèque secrète. J’eus aussi la délicatesse ingénieuse de commander, pour eux, les jours de rendez-vous, des en-cas élégants, réparateurs