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même. Il n’est le produit d’aucune camaraderie ; comme tant d’autres, il n’est point sorti des fabriques ordinaires de renommées. Soutenu par la force seule de son génie, par l’âpre ténacité de son courage, il a marché droit devant lui, et il a fait sa trouée magnifiquement. Il ne s’est abaissé à aucune concession ; il n’est point entré dans les compromis, les soumissions, les grandes intrigues et les petites lâchetés dont se compose la vie des lettres… et le voilà.

Ses débuts pourtant ont été douloureux, et les amertumes ne lui furent pas ménagées. Quand il commença de briller au-dessus de la tourbe des littérateurs embrigadés, quand avec sa parole ardente, qui donne la foi, il se mit à prêcher l’évangile de la doctrine nouvelle, une immense clameur d’indignation s’éleva autour de lui. Dans les ateliers, les journaux, les cafés littéraires, le nom d’Émile Zola devint le synonyme d’une grosse injure, d’une obscénité outrageante que l’on se jetait à la face, au cours des discussions et des polémiques. Les revues de fin d’année le traînèrent dans les vomissures de leurs couplets, on le chansonna au café-concert. Puis, de ces centres intelligents d’où s’envolent les modes d’une heure et les gloires d’un jour, bulles de savon sitôt crevées, ce nom descendit jusque dans la rue où on le revit, fleur populacière, fleurir aux lèvres bourbeuses des cochers, aux bouches crispées des voyous :

— Va donc, eh Zola.

Les vrais artistes savent ce qu’il faut de vail-