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Connaissez-vous, même dans les poésies d’Edgar Poe, si admirablement traduites par M. Stéphane Mallarmé, quelque chose d’aussi rare et d’aussi sublime ? Et tous ces regards qui désormais vous hantent, n’est-ce point, en raccourci, la plus complète, la plus multiple, la plus inquiétante évocation de l’infinie tristesse, de l’infinie pitié de la vie ?

J’ai longtemps hésité avant de parler de La Princesse Maleine. La laisser dans son obscurité scrupuleuse, ne pas l’exposer, si frêle, si chaste, si adorablement belle, aux brutalités de la foule, aux ricanements des gens d’esprit, être quelques-uns seulement à en jouir, il me semblait que cela valait mieux ainsi. Et puis, j’ai songé qu’il y a tout de même, quelque part, des inconnus à qui une telle œuvre donnerait de la joie, et qui m’aimeraient de la leur révéler, des inconnus comme il s’en rencontre dans nos âmes, qui traversent, au loin, sans se faire voir, notre vie, et qui ne sont ni hommes de lettres, ni peintres, ni gens du monde, ni rien de ce que nous révérons d’ordinaire, qui sont tout simplement, je pense, une émanation lointaine et ignorée de notre pensée, de notre amour, de notre souffrance. C’est à ceux-là seuls que je signale La Princesse Maleine.

La Princesse Maleine est un drame écrit, ainsi que le déclare l’auteur, pour un théâtre de fantoches. Raconter ce drame dans ses détails ? Je ne le puis. Ce serait en gâter le charme immense, en atténuer l’immense terreur où il jette