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« Alors, il se faisait que nous trouvions un plaisir hors nature à torturer nos poissons, à torturer nos propres poissons. Les deux Russes, surtout, devenaient malades de l’envie de commettre un pareil péché… »

Il faudrait lire en entier ces courtes et impressionnantes pages, qui ont un autre accent d’humanité frénétique et bestiale que celui de Pêcheurs d’Islande. L’apparition soudaine des grands steamers dans la brume, les hallucinations qu’elle provoque dans la nuit, sont rendues par Knut Hamsun avec une force, une terreur, une grandeur d’expression inconnues à M. Pierre Loti.

Qu’on me permette encore cette citation :

« Parfois, je me réveillais vers minuit, à moitié asphyxié par l’exhalaison de tous ces hommes qui s’agitaient dans leurs rêves. La lanterne éclairait leur corps épais marinant dans leurs grossières chemises de laine. Les Russes, avec leurs trois ou quatre poils à la mâchoire, ressemblaient à des phoques ; de chaque hamac venaient des soupirs interrompus par d’indistinctes paroles, et un nom, toujours le même : celui de la femme du patron. Tous étaient fous d’elle, et les brutes l’appelaient dans leurs rêves. L’âcre brouillard qui pénétrait à travers les lucarnes, la fumée de tabac, l’odeur de tous ces hommes en sueur et de ces poissons à bord se condensaient en une vapeur épaisse, étouf-