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des maisons noires, en vieux bois pourri, avec de hauts pignons branlants et des étages ventrus qui avancent les uns sur les autres, comme dans l’ancien temps… Les gens qui passent sont vilains, vilains, et je n’ai pas aperçu un seul beau garçon… L’industrie du pays est le chausson de lisière. La plupart des chaussonniers, qui n’ont pu livrer aux usines le travail de la semaine, travaillent encore… Et je vois, derrière des vitres, de pauvres faces chétives, des dos courbés, des mains noires qui tapotent sur des semelles de cuir…

Cela ajoute encore à la tristesse morne du lieu… On dirait d’une prison.

Mais voici la mercière qui, sur le pas de sa porte, nous sourit et nous salue…

— Vous allez à la messe de huit heures ?… Moi, je suis allée à la messe de sept heures… Vous n’êtes pas en retard… Vous ne voudriez pas entrer, un instant ?

Rose remercie… Elle me met en garde contre la mercière, qui est une méchante femme et dit du mal de tout le monde… une vraie peste, quoi !… Puis elle recommence à me vanter les vertus de son maître et les douceurs de sa place… Je lui demande :

— Alors, le capitaine n’a pas de famille ?

— Pas de famille ?… s’écrie-t-elle, scandalisée… Eh bien, ma petite, vous n’y êtes pas… Ah ! si, il en a une famille, et une propre !… Des