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— Non… on m’a traîné devant je ne sais quels juges qui me condamnèrent à deux mois de prison et dix mille francs de dommages et intérêts… Pour un sale paysan !… Et on appelle ça de la civilisation !… Est-ce croyable ?… Eh bien, merci ! s’il avait fallu que je fusse, en Afrique, condamné de la sorte, chaque fois que j’ai tué des nègres, et même des blancs !…

— Car vous tuiez aussi les nègres ?… fit Clara.

— Certainement, oui, adorable miss !…

— Pourquoi, puisque vous ne les mangiez pas ?

— Mais, pour les civiliser, c’est-à-dire pour leur prendre leurs stocks d’ivoires et de gommes… Et puis… que voulez-vous ?… si les gouvernements et les maisons de commerce qui nous confient des missions civilisatrices, apprenaient que nous n’avons tué personne… que diraient-ils ?…

— C’est juste !… approuva le gentilhomme normand… D’ailleurs, les nègres sont des bêtes féroces… des braconniers… des tigres !…

— Les nègres ?… Quelle erreur, cher monsieur !… Ils sont doux et gais… ils sont