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des rires, cette discussion culinaire, laquelle commençait à me soulever le cœur… L’explorateur, un peu décontenancé, reprit :

— Il n’importe… malgré tous ces petits ennuis, je suis très heureux d’être reparti. En Europe, je suis malade… je ne vis pas… je ne sais où aller… Je me trouve aveuli et prisonnier dans l’Europe, comme une bête dans une cage… Impossible de faire jouer ses coudes, d’étendre les bras, d’ouvrir la bouche, sans se heurter à des préjugés stupides, à des lois imbéciles… à des mœurs iniques… L’année dernière, charmante miss, je me promenais dans un champ de blé. Avec ma canne, j’abattais les épis autour de moi… Cela m’amusait… J’ai bien le droit de faire ce qui me plaît, n’est-ce pas ?… Un paysan accourut qui se mit à crier, à m’insulter, à m’ordonner de sortir de son champ… On n’a pas idée de ça !… Qu’auriez-vous fait à ma place ?… Je lui assenai trois vigoureux coups de canne sur la tête… Il tomba le crâne fendu… Eh bien, devinez ce qui m’est arrivé ?…

— Vous l’avez peut-être mangé ? insinua, en riant, Clara…