Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous décrivant toutes ses inventions de balistique.

Un soir, après le dîner, sur le pont, nous étions tous réunis autour de Clara, délicieusement étendue sur un rocking-chair. Les uns fumaient des cigarettes, ceux-là rêvaient… Tous, nous avions, au cœur, le même désir de Clara ; et tous, avec la même pensée de possession ardente, nous suivions le va-et-vient de deux petits pieds, chaussés de deux petites mules roses qui, dans le balancement du fauteuil, sortaient du calice parfumé des jupons, comme des pistils de fleurs… Nous ne disions rien… Et la nuit était d’une douceur féerique, le bateau glissait voluptueusement sur la mer, comme sur de la soie. Clara s’adressa à l’explorateur…

— Alors ? fit-elle d’une voix malicieuse… Ça n’est pas une plaisanterie ?… Vous en avez mangé de la viande humaine ?

— Certainement oui !… répondit-il fièrement et d’un ton qui établissait une indiscutable supériorité sur nous… Il le fallait bien… on mange ce qu’on a…

— Quel goût ça a-t-il ?… demanda-t-elle, un peu dégoûtée.