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nouveau collaborateur, une sorte de virginité sociale, j’y avais bien songé… Tout m’y poussait, ma nature, mon intérêt, et aussi le plaisir si âprement savoureux de la vengeance… Mais, en plus des incertitudes et des hasards dont s’accompagnait cette combinaison, je ne me sentais pas le courage d’une autre expérience, ni de recommencer de pareilles manœuvres. J’avais brûlé ma jeunesse par les deux bouts. Et j’étais las de ces aventures périlleuses et précaires qui m’avaient mené où ?… J’éprouvais de la fatigue cérébrale, de l’ankylose aux jointures de mon activité ; toutes mes facultés diminuaient, en pleine force, déprimées par la neurasthénie. Ah ! comme je regrettais de n’avoir pas suivi les droits chemins de la vie ! Sincèrement, à cette heure, je ne souhaitais plus que les joies médiocres de la régularité bourgeoise ; et je ne voulais plus, et je ne pouvais plus supporter ces soubresauts de fortune, ces alternatives de misère, qui ne m’avaient pas laissé une minute de répit et faisaient de mon existence une perpétuelle et torturante anxiété. Qu’allais-je donc devenir ?… L’avenir m’apparaissait plus triste et plus désespérant que les crépuscules