Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnalités nouvelles, et sa naturelle gaîté, son cynisme bon enfant qu’on traitait volontiers d’aimable paradoxe, non moins que ses amours lucratives et retentissantes, achevèrent de lui conquérir une réputation discutable, mais suffisante à un futur homme de gouvernement qui en verra bien d’autres. Il avait aussi cette faculté merveilleuse de pouvoir, cinq heures durant, et sur n’importe quel sujet, parler sans jamais exprimer une idée. Son intarissable éloquence déversait, sans un arrêt, sans une fatigue, la lente, la monotone, la suicidante pluie du vocabulaire politique, aussi bien sur les questions de marine que sur les réformes scolaires, sur les finances que sur les beaux-arts, sur l’agriculture que sur la religion. Les journalistes parlementaires reconnaissaient en lui leur incompétence universelle et miraient leur jargon écrit dans son charabia parlé. Serviable, quand cela ne lui coûtait rien, généreux, prodigue même, quand cela devait lui rapporter beaucoup, arrogant et servile, selon les événements et les hommes, sceptique sans élégance, corrompu sans raffinement, enthousiaste sans spontanéité, spirituel sans