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que, tout autour de moi, le sol et les fleurs achèvent de pomper du sang, et je me vois errant, à travers le soir argenté, au milieu des féeriques rizières de l’Annam.

— Rentrons ! dit Clara.

Cette voix brève, agressive et lasse me rappelle à la réalité… Clara est devant moi… Ses jambes croisées se devinent sous les plis collants de sa robe… Elle s’appuie sur le manche de son ombrelle. Et, dans la pénombre, ses lèvres brillent comme, dans une grande pièce fermée, une petite lueur voilée d’un rose abat jour…

Comme je ne bouge pas, elle dit encore :

— Eh bien !… Je vous attends !…

Je veux lui prendre le bras… Elle refuse.

— Non… non… Marchons à côté l’un de l’autre !…

J’insiste.

— Vous devez être fatiguée, chère Clara… Vous…

— Non… non… pas du tout !

— Le chemin est long, d’ici au fleuve… Prenez mon bras, je vous en prie !

— Non… merci !… Et taisez-vous !… oh ! taisez-vous !…

— Clara ! vous n’êtes plus la même…