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des corbeaux qui, par bandes innombrables, planaient dans le ciel…

L’allée lugubre des tamariniers finissait sur une large terrasse fleurie de pivoines et par où nous descendîmes au bassin…


Les iris dressaient hors de l’eau leurs longues tiges portant des fleurs extraordinaires, aux pétales colorés comme les vieux vases de grès ; précieux émaux violacés avec des couleurs de sang ; pourpres sinistres, bleus flammés d’ocre orangée, noirs de velours, avec des gorges de soufre… Quelques-uns, immenses et crispés, ressemblaient à des caractères kabbalistiques… Les nymphéas et les nélumbiums étalaient sur l’eau dorée leurs grosses fleurs épanouies qui me firent l’effet de têtes coupées et flottantes… Nous restâmes quelques minutes penchés sur la balustrade du pont à regarder l’eau, silencieusement. Une carpe énorme, dont on ne voyait que le mufle d’or, dormait sous une feuille, et les cyprins, entre les typhas et les joncs, passaient, pareils à des pensées rouges dans le cerveau d’une femme.