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petits morceaux de viande humaine, qui avaient volé sous les coups des fouets et des lanières de cuir, s’accrochaient, çà et là, à la pointe des pétales et des feuilles… Voyant que je faiblissais et que je bronchais aux flaques, dont les taches s’élargissaient et gagnaient le milieu de l’allée, Clara, d’une voix douce, m’encourageait :

— Ce n’est rien encore, mon chéri… Avançons !…

Mais il était difficile d’avancer. Les plantes, les arbres, l’atmosphère, le sol étaient pleins de mouches, d’insectes ivres, de coléoptères farouches et batailleurs, de moustiques gorgés. Toute la faune des cadavres éclosait là, par myriades, autour de nous, dans le soleil… Des larves immondes grouillaient dans les mares rouges, tombaient des branches, en grappes molles… Le sable semblait respirer, semblait marcher, soulevé par un mouvement, par un pullulement de vie vermiculaire. Assourdis, aveuglés, nous étions, à chaque instant, arrêtés par tous ces essaims bourdonnants, qui se multipliaient, et dont je redoutais pour Clara les piqûres mortelles… Et nous avions, parfois, cette sensation horrible que