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envoie d’Europe, à nous qui possédons la flore la plus extraordinaire et la plus variée du globe… Qu’est-ce qu’on ne nous envoie pas aujourd’hui ?… Des casquettes, des bicyclettes, des meubles, des moulins à café, du vin et des fleurs !… Et si vous saviez les mornes sottises, les pauvretés sentimentales, les folies décadentes que nos poètes débitent sur les fleurs !… C’est effrayant !… Il y en a qui prétendent qu’elles sont perverses !… Perverses, les fleurs !… En vérité, on ne sait plus quoi inventer… Avez-vous idée d’un pareil non-sens, milady, et si monstrueux ?… Mais les fleurs sont violentes, cruelles, terribles et splendides… comme l’amour !…

Il cueillit une renoncule qui, près de lui, au-dessus du gazon, balançait mollement son capitule d’or, et, avec des délicatesses infinies, lentement, amoureusement, il la fit tourner entre ses gros doigts rouges où le sang séché s’écaillait par places :

— Est-ce pas adorable ?… répétait-il, en la contemplant… C’est tout petit, tout fragile… et c’est toute la nature, pourtant… toute la beauté et toute la force de la nature… Cela renferme le monde… Organisme chétif et impitoyable et qui va jus-