Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tages, impliquait un abonnement au journal trimestriel que rédigeait Eugène Mortain pour la propagande des idées et la défense des intérêts de ces nombreux groupements « autonomes et solidaires », proclamait-il.

De mauvais instincts, qui nous étaient communs, et des appétits pareils nous rapprochèrent aussitôt, lui et moi, et firent de notre étroite entente une exploitation âpre et continue de nos camarades, fiers d’être syndiqués… Je me rendis bien vite compte que je n’étais pas le plus fort dans cette complicité ; mais, en raison même de cette constatation, je ne m’en cramponnai que plus solidement à la fortune de cet ambitieux compagnon. À défaut d’un partage égal, j’étais toujours assuré de ramasser quelques miettes… Elles me suffisaient alors. Hélas ! je n’ai jamais eu que les miettes des gâteaux que dévora mon ami.

Je retrouvai Eugène plus tard, dans une circonstance difficile et douloureuse de ma vie. À force de mettre « les gens dedans », mon père finit par y être mis lui-même, et non point au figuré, comme il l’entendait de ses clients. Une fourniture malheureuse et qui, paraît-il, empoisonna toute une caserne,