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Près de nous, il y en avait d’isolées, qui nous tendaient d’immenses calices rouges, noirs, cuivrés, orangés, pourprés. D’autres, idéalement pures, offraient les plus virginales nuances du rose et du blanc. Réunies en foule chatoyante, ou bien solitaires au bord de l’allée, méditatives au pied des arbres, amoureuses le long des massifs, les pivoines étaient bien réellement les fées, les reines miraculeuses de ce miraculeux jardin.

Partout où le regard se posait, il rencontrait une pivoine. Sur les ponts de pierre, entièrement recouverts de plantes saxatiles et qui, de leurs arches audacieuses, relient les masses de rochers et font communiquer entre eux les kiosques, les pivoines passaient, pareilles à une foule en fête. Leur procession brillante ascensionnait les tertres, autour desquels montent, se croisent, s’enchevêtrent les allées et les sentes que bordent de menus fusains argentés et des troènes taillés en haies. J’admirai un monticule où, sur des murs très bas, très blancs, construits en colimaçon, s’étendaient, protégées par des nattes, les plus précieuses espèces de pivoines, que d’habiles artistes avaient assouplies aux formes multiples de