Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chair intacte, ses organes libres, son âme toute neuve…

Un banc, fait de troncs de bambous, se trouvait là, près de moi, à l’ombre d’un immense frêne dont les feuilles pourpres, étincelant dans la lumière, donnaient l’illusion d’un dôme de rubis… Je m’y assis, ou plutôt, je m’y laissai tomber, car la joie de toute cette vie splendide me faisait presque défaillir, maintenant, d’une volupté ignorée.

Et je vis, à ma gauche, gardien de pierre de ce jardin, un Buddha, accroupi sur une roche, qui montrait sa face tranquille, sa face de Bonté souveraine, toute baignée d’azur et de soleil. Des jonchées de fleurs, des corbeilles de fruits couvraient le socle du monument d’offrandes propitiatoires et parfumées. Une jeune fille, en robe jaune, se haussait jusqu’au front de l’exorable dieu, qu’elle couronnait pieusement de lotus et de cypripèdes… Des hirondelles voletaient autour, en poussant de petits cris joyeux… Alors, je songeai — avec quel religieux enthousiasme, avec quelle adoration mystique ! — à la vie sublime de celui qui, bien avant notre Christ, avait prêché aux