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toires… Je ne l’écoutais pas, et je ne la sentais pas, non plus, près de moi. En ce moment, sa présence, près de moi, m’était si lointaine ! Si lointaine aussi sa voix… et tellement inconnue !…

Enfin, peu à peu, je repris possession de moi-même, de mes souvenirs, de la réalité des choses, et je compris pourquoi et comment j’étais là…

Au sortir de l’enfer, encore tout blême de la terreur de ces faces de damnés, les narines encore toutes remplies de cette odeur de pourriture et de mort, les oreilles vibrant encore aux hurlements de la torture, le spectacle de ce jardin me fut une détente subite, après avoir été comme une exaltation inconsciente, comme une irréelle ascension de tout mon être vers les éblouissements d’un pays de rêve… Avec délices, j’aspirai, à pleines gorgées, l’air nouveau que tant de fins et mols arômes imprégnaient… C’était l’indicible joie du réveil, après l’oppressant cauchemar… Je savourai cette ineffable impression de délivrance de quelqu’un, enterré vivant dans un épouvantable ossuaire, et qui vient d’en soulever la pierre et de renaître, au soleil, avec sa