Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déchirés de leurs pauvres voilures. Là vivait une population dense — pêcheurs et pirates — affreux démons de la mer, au visage boucané, aux lèvres rougies par le bétel, et dont les regards vous donnaient le frisson. Ils jouaient aux dés, hurlaient, se battaient ; d’autres, plus pacifiques, éventraient des poissons qu’ils faisaient ensuite sécher au soleil, en guirlandes, sur des cordes… D’autres encore dressaient des singes à faire mille gentillesses et obscénités.

— Amusants, pas ?… me dit Clara… Et ils sont plus de trente mille qui n’ont pas d’autre domicile que leurs bateaux !… Par exemple, le diable seul sait ce qu’ils font !…

Elle releva sa robe, découvrit le bas de sa jambe agile et nerveuse, et, longtemps, nous suivîmes l’horrible chemin, jusqu’au pont dont les surconstructions bizarres et les cinq arches massives, peintes de couleurs violentes, enjambent la rivière, sur laquelle, au gré des remous et des courants, tournent, tournent et descendent de grands cercles huileux.

Sur le pont, le spectacle change, mais l’odeur s’aggrave, cette odeur si particulière à toute la Chine et qui, dans les villes, les