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pacent, de loin en loin, dans de petits enclos, treillagés de bambous. Ce ne sont, ensuite, que vergers en fleurs, cultures de maraîchers ou terrains vagues. Des hommes nus jusqu’à la ceinture, coiffés de chapeaux en forme de cloche, travaillaient péniblement sous le soleil, et plantaient des lis — ces beaux lis tigrés dont les pétales ressemblent à des pattes d’araignée marine, et dont les bulbes savoureux servent à la nourriture des riches. Nous passâmes ainsi devant quelques misérables hangars où des potiers tournaient des pots, où des trieurs de chiffons, accroupis, parmi de vastes corbeilles, inventoriaient la récolte du matin, tandis que passait et repassait au-dessus d’eux, une bande de corors affamés et croassants. Plus loin, sous un énorme figuier, nous vîmes, assis à la margelle d’une fontaine, un doux et méticuleux vieillard qui lavait des oiseaux. À chaque instant, nous croisions des palanquins qui transportaient vers la ville des matelots européens, déjà ivres. Et, derrière nous, ardente et tassée, escaladant la haute colline, la ville, avec ses temples et ses étranges maisons rouges, vertes, jaunes, crépitait dans la lumière.