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bizarre palais qui, à ma droite, entre les cedrèles et les bambous, superposait ses claires terrasses garnies de fleurs, ses balcons ombreux et ses toits coloriés… Ma pensée était ailleurs… très loin, très loin… par-delà les mers et les forêts… Elle était en moi… sombrée en moi… au plus profond de moi !…

Apaisé ?…

À peine Clara eut-elle disparu derrière les feuillages du jardin que le remords d’être là me saisit… Pourquoi étais-je revenu ?… À quelle folie, à quelle lâcheté avais-je donc obéi ?… Elle m’avait dit un jour, vous vous souvenez, sur le bateau : « Quand vous serez trop malheureux, vous vous en irez ! »… Je me croyais fort de tout mon passé infâme… et je n’étais, en effet, qu’un enfant débile et inquiet… Malheureux ?… Ah oui ! je l’avais été, jusqu’aux pires tortures, jusqu’au plus prodigieux dégoût de moi-même… Et j’étais parti !… Par une ironie vraiment persécutrice, j’avais profité, pour fuir Clara, du passage à Canton d’une mission anglaise — j’étais décidément voué aux missions — qui allait explorer les régions peu connues de l’Annam… C’était