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des cris d’admiration en me les montrant… Et, tout d’un coup, elle me demanda :

— Dites-moi ?… Comment s’appellent ces merveilleuses bêtes ?

J’aurais pu inventer des noms bizarres, trouver des terminologies scientifiques. Je ne le tentai même pas… Poussé par un immédiat, un spontané, un violent besoin de franchise :

— Je ne sais pas !… répondis-je, fermement.

Je sentais que je me perdais… que tout ce rêve, vague et charmant qui avait bercé mes espoirs, endormi mes inquiétudes, je le perdais aussi sans rémission… que j’allais, d’une chute plus profonde, retomber aux fanges inévitables de mon existence de paria… Je sentais tout cela… Mais il y avait en moi quelque chose de plus fort que moi, et qui m’ordonnait de me laver de mes impostures, de mes mensonges, de ce véritable abus de confiance, par quoi, lâchement, criminellement, j’avais escroqué l’amitié d’un être qui avait eu foi en mes paroles.

— Non, en vérité, je ne sais pas !… répétai-je, en donnant à cette simple dénégation un caractère d’exaltation dramatique qu’elle ne comportait point.