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des villes, non moins que les vaillantes populations des campagnes acclamaient cet homme hardi avec une frénésie qui, chaque jour, allait grandissant, en raison directe de la frénésie de ses aveux.

Comment pouvais-je lutter contre un tel rival, possédant de tels états de service, moi qui n’avais encore sur la conscience, et les dissimulais pudiquement, que de menues peccadilles de jeunesse, telles que vols domestiques, rançons de maîtresses, tricheries au jeu, chantages, lettres anonymes, délations et faux ?… Ô candeur des ignorantes juvénilités !

Je faillis même, un soir, dans une réunion publique, être assommé par des électeurs furieux de ce que, en présence des scandaleuses déclarations de mon adversaire, j’eusse revendiqué, avec la suprématie des betteraves, le droit à la vertu, à la morale, à la probité, et proclamé la nécessité de nettoyer la République des ordures individuelles qui la déshonoraient. On se rua sur moi ; on me prit à la gorge ; on se passa, de poings en poings, ma personne soulevée et ballottante comme un paquet… Par bonheur, je me tirai de cet accès d’éloquence avec, seulement, une