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lointain d’un tambour… J’écoutai, le cœur battant… Un moment, le bruit cessa et des coqs chantèrent… Au bout de dix minutes, peut-être, il reprit plus fort, plus distinct, se rapprochant… Patara ! patara ! c’était sur la route de Chartres, un galop de cheval… Instinctivement, je bouclai mon sac sur mon dos, et m’assurai que mon fusil était chargé… J’étais très ému ; les veines de mes tempes se gonflaient… Patara ! patara ! Cela devait être tout près de moi, ce galop, car il me semblait que je percevais le souffle du cheval et des tintements clairs d’acier… Patara ! patara !… À peine avais-je eu le temps de m’accroupir derrière le chêne qu’à vingt pas de moi, sur la route, une grande ombre s’était dressée, subitement immobile, comme une statue équestre de bronze. Et cette ombre, qui s’enlevait presque entière, énorme, sur la lumière du ciel oriental, était terrible ! L’homme me parut surhumain, agrandi dans le ciel démesurément !… Il portait la casquette plate des Prussiens, une longue capote noire, sous laquelle la poitrine bombait largement. Était-ce un officier, un simple soldat ? Je ne savais, car je ne distinguais aucun insigne de grade sur le sombre uniforme… Les traits, d’abord indécis, s’accentuèrent. Il avait des yeux clairs, très limpides, une barbe blonde, une allure de puissante jeunesse ; son visage respirait la force et la bonté, avec je ne sais quoi de noble, d’audacieux et de triste qui me frappa. La main à plat sur la cuisse, il interrogeait la campagne devant lui, et, de temps